Etude
Ecole primaire Antoine Chantin, rue Antoine Chantin, dans le quatorzième arrondissement, à Paris. 16h30. Ce soir je reste à l'étude. Nous ne sommes pas encore rentrés en classe, nous jouons dans la cour de récréation le temps de goûter et que l'école se vide de ses élèves. Je suis dépaysé d'être là à cette heure. Les bruits sont différents, abandonnés, la lumière plus profonde, l'air plus gris. Une réalité de rêve, trompeuse.
Je me retourne vers la porte-fenêtre, la dernière sur la droite, la seule ouverte sur le préau, l'issue, et je la vois. L., sur le seuil, entourée des deux institutrices qui nous surveillent. Pour toujours vêtue de sa robe vert émeraude, usée et brillante, pour toujours parée de son médaillon en forme de soleil, fétiche des mes doigts de bébé, pour toujours me souriant de tout son amour, elle est là, pour toujours, séparée de moi.
La collision de ces deux intimités a lieu en moi, comme une déflagration. J'ai couru vers elle pour la protéger de mon univers d'écolier, pour qu'elle ne se sente pas perdue. On ne m'a pas laissé la serrer dans mes bras. Je suis tenu à l'écart tandis qu'on lui explique que non, je ne peux pas quitter l'établissement sans autorisation des parents, je dois rester jusqu'à 18h00. Ce n'est pas grave, à tout à l'heure, elle repars. C'est la première fois que nous nous quittons sans nous embrasser. Apparue, disparue, je reste sans elle,... Noir.
J'ai mis des années à me consoler de cet épisode. En silence. En secret. Avec la sensation d'être un peu mort ce jour d'étude, dans cette cour de récréation.
Depuis, aucun baiser n'a plus apaisé ma peine.