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110th

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20 mai 2007

Etude

sans_printemps3

Ecole primaire Antoine Chantin, rue Antoine Chantin, dans le quatorzième arrondissement, à Paris. 16h30. Ce soir je reste à l'étude. Nous ne sommes pas encore rentrés en classe, nous jouons dans la cour de récréation le temps de goûter et que l'école se vide de ses élèves. Je suis dépaysé d'être là à cette heure. Les bruits sont différents, abandonnés, la lumière plus profonde, l'air plus gris. Une réalité de rêve, trompeuse.
Je me retourne vers la porte-fenêtre, la dernière sur la droite, la seule ouverte sur le préau, l'issue, et je la vois. L., sur le seuil, entourée des deux institutrices qui nous surveillent. Pour toujours vêtue de sa robe vert émeraude, usée et brillante, pour toujours parée de son médaillon en forme de soleil, fétiche des mes doigts de bébé, pour toujours me souriant de tout son amour, elle est là, pour toujours, séparée de moi.
La collision de ces deux intimités a lieu en moi, comme une déflagration. J'ai couru vers elle pour la protéger de mon univers d'écolier, pour qu'elle ne se sente pas perdue. On ne m'a pas laissé la serrer dans mes bras. Je suis tenu à l'écart tandis qu'on lui explique que non, je ne peux pas quitter l'établissement sans autorisation des parents, je dois rester jusqu'à 18h00. Ce n'est pas grave, à tout à l'heure, elle repars. C'est la première fois que nous nous quittons sans nous embrasser. Apparue, disparue, je reste sans elle,... Noir.

J'ai mis des années à me consoler de cet épisode. En silence. En secret. Avec la sensation d'être un peu mort ce jour d'étude, dans cette cour de récréation.

Depuis, aucun baiser n'a plus apaisé ma peine. 

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4 avril 2007

Garde-fou

Garde_fou

Le cri de la lumière du plafonnier me réveille et presque aussitôt le visage de plastique m’aveugle. C’est elle qui s’amuse à me faire peur au milieu des nuits que je passe chez elle, quand elle me garde. Son rire pointu et éraillé sonne sourdement sous le masque de Charlot. Saisi dans mon petit lit au ras du sol, je ne fuis pas, je perds l’équilibre. Où vais-je m’écraser?

“On va appeler la vieille”. Elle me tend l’écouteur du téléphone gris, tout neuf. J’y colle mon oreille, contraint. Je suis le prétexte de cette conversation qui a pour but d’inquiéter Lydia, mon adorée. Puis, feignant une mauvaise réception, elle lui raccroche au nez, sans lui dire au revoir, sans me laisser lui parler. Je ne comprends pas le jeu. Vertige de la peine et de la culpabilité. Comment réconforter Lydia? Je perds pied, une chute infinie.

C’est Pessah, je ne dois pas manger de pain. J’aime bien cette période. Pourquoi ai-je voulu être chez elle ce jour-là? Je suis venu avec des plats spéciaux, il y en a aussi pour elle. Elle se moque de ce qui a été préparé, tente de m’en dégoûter, puis de m’en détourner. Elle me tend du pain, allez, mange, qu’est-ce qu’il va t’arriver. Je vacille, hypnotisé par son agressivité réjouie. Elle veut me précipiter avec elle dans ses abîmes de négation.

A quoi me suis-je raccroché? Je ne suis pas tombé.

9 février 2007

Cécité

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Les peupliers flamboyants filtrent le soleil droit des midis de Mai et, à l'arrière de la 404 verte, je m'étourdis de l'alternance fulgurante des ombres et des jours qui défilent et nous suivent. Une lanterne magique, de Corbeil à Milly-la Forêt.

Cette netteté, comme de l'oxygène pour mes yeux, je ne la retrouve plus. Le paysage ne me traverse pas comme avant, il reste en dehors de moi, se dérobe, ou m'aveugle.
J'en ai trop vu? Je ne respire plus.

2 février 2007

Séparation

S_paration

- Je dormirai chez V. demain.
Je ne trouve rien à dire à ça. Cela me semble être dans l'ordre des choses.
Son visage à travers les barreaux de bois de la rambarde de mon lit. Une expression que je ne lui connais pas, comme si elle s'excusait d'être soulagée.
- Ca va?
- Oui mon fils.

Tout à l'heure je regardais sa silhouette se découper en contre jour devant la fenêtre qu'elle voulait enjamber. J-L et mon père la retenaient. Trois ombres affolées qui luttent sur ce fond de ciel clair, sans soleil, juste avant la nuit. Je ne bouge pas, absent à moi-même et aux autres, eux, qui se déchirent. Mon existence est sans influence.
Enfin la fenêtre est refermée, mais les rideaux ne sont pas tirés et je vois nettement les lumières des appartements de la tour des Mariniers, là où il n'y a pas de cri, là où je ne suis pas.

Cet hiver-là, à la radio, on entendait un morceau que j'aimais beaucoup, une chanson d'adulte. J'ai su que c'était Heartbreaker de Dionne Warwick lorsque le lendemain soir, en venant prendre quelques affaires et me dire au revoir, ma mère m'a offert le disque. Je ne l'ai jamais vraiment écouté. Trop triste.

20 janvier 2007

Départ

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La lueur nerveuse et jaune pâle des vue-mètres de la chaîne hi-fi, une Sony, l'odeur dépaysante de la fumée de cigarettes et des spots colorés, éteints, qui refroidissent, les violons synthétiques de "Da ya think I'm sexy" ou les stridences virtuoses de "Wutherings Heights", je ne suis plus ici, dans le lit du bas de la petite chambre de P. et P., rue du Roi d'Alger.

Je me relève souvent pour changer les 45 tours. Je n'ai pas vraiment le droit parce que la platine est fragile, je pourrais abîmer le diamant. Mais cette fois on ne me dit rien, je ne sais pas pourquoi. Parfois aussi, je rallume les spots chauds, juste un peu, tant pis, je suis loin.

Et partout, longtemps, j'ai voyagé comme ça, porté pas des ondes idéales, instrumentales et illuminées.

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13 janvier 2007

Sadisme

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Le vague souvenir de son visage d'ange attardé, raté, flou. Des boucles brunes mal réparties, comme une maladie. Et des yeux clairs, tendres, légèrement implorants, à travers lesquels on voit son coeur grand ouvert.

Quand on jouait avec lui, je devenait cruel. J'aimais l'exciter comme un jeune animal, le voir courir dans tous les sens, hors d'haleine, le bousculer, "chat!", le faire tomber sur le ciment granuleux de cour de récréation qui écorchait les mains, me moquer de la morve qu'il ne pouvait empêcher de couler de son nez.
Et lui, l'innocent, le pur, l'enfant, il participait avec ardeur, grisé d'être au centre de nos égards pervers.
Une chute trop brutale qui le faisait pleurer mettait fin à notre jeux.

Ce petit garçon humilié, je voudrais le serrer dans mes bras et pleurer avec lui ces moments asséchés, glissants, glacés, où la bienveillance se vidait de moi.

Je te demande pardon.

4 décembre 2006

Jeu de société

Reflet2ok_

Après les cours je suis allé chez E. J'ai dû insister pour qu'il me prête son Monopoly "de Luxe". Qu'en ferai-je sans partenaire? La partie était ailleurs, comme souvent, à coté de la boite fermée, dans mes efforts à faire céder E.
C'est un mardi au début d'un soir pluvieux, je dors avenue Reille. J'ai fait le long trajet depuis Bagneux, encombré de la grosse boite beige. Je longe les grilles du Parc Montsouris de ce pas impatient qui est encore le mien aujourd'hui quand je marche seul. Sur le trottoir suintant, quelques marrons, dans le ciel je distingue peut-être une vague traînée de crépuscule entre les branches sans vie.
Après le pont, un homme m'aborde. Je ne sais pas s'il vient à ma rencontre ou s'il me dépasse. Il me dit que si je le suce, il me donnera cent francs. Il le redis parce que je ne semble pas réagir. Il a un accent arabe. Je me remets en marche, non, ou non merci. Il me suit encore quelques secondes, il n'insiste pas, je suis un garçon de douze ans et demi.
Pendant des semaines sa voix est dans ma tête, qui répète les mêmes mots.
Je ne me sers pas du Monopoly. Il reste longtemps dans ma chambre, par terre, inutile, évocateur. Il me répugne un peu.

23 novembre 2006

Automne

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Les doigts immobiles sur le clavier, secs.
Le regard qui ne se fixe pas, qui fuie l’écran et se perd dans du vide, clos, les yeux ouverts.
Les pensées qui échouent, dévient, butent, piétinent.
Et à l’intérieur, entre la souffrance et le repos, le mouvement qui gémit, prisonnier, rompu.

Je vais dormir.
Je vais lutter.

17 novembre 2006

Seul

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J’appelle, je ne trouve pas le sommeil, on ne vient pas. Dors.
Je veux jouer, je demande, je supplie, allez, s’il te plait. Non.
Je descends. Je viens voir si M. peut sortir. Pas maintenant.
Je veux rentrer, je me sens mal ici, je veux être avec vous. Capricieux.
...
Pourquoi. Je demande toujours l’explication. On ne sait pas répondre.

J’ai la gorge acérée, j’ai la poitrine épineuses, j’ai les côtes tranchantes.
Je dis j’ai mal. Mal comment? Exactement je ne sais pas. Bon ça suffit.

Je peux dire seulement j’ai peur. Peur?
...
On ne me demande jamais pourquoi. On ne veut pas d’explication. J’aurais pu répondre.

Ca va? Oui. J'ai trouvé que c'était plus simple. Eux aussi. Plus simple d'être silencieux à porter leur fardeau.

10 novembre 2006

Les yeux fermés

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L’odeur d’été, mélange d’ombre fraîche, de marbre gris et de bois. Le hall, le grand miroir nu, la petite porte vitrée, bruyante, le colimaçon recouvert de rouge qui monte à droite, prometteur, et le radiateur inutile à gauche. En face de moi le double battant s’ouvre sur le tapis usé, persan, l’armoire, foncé, lourde, sans mystère, la petite desserte à roulettes, captive pour toujours devant le rectangle glacé. Les tableaux, déjà, partout sur les murs, invisibles. Fermeture condamnée vers la pièce où est la table dont les pieds sont ma maison, la moquette sans couleur verte, le buffet, à portée de ma curiosité, les sièges aux dossiers hostiles, le voile agrippant de la fenêtre, la petite table ronde qui est un reliquaire, ma chaise, sage, attendant le repas.
Mon territoire s’arrête là.
Après, plus loin, le couloir, la petite chambre du milieu, je n’aime pas, il y a des monstres. Les clowns emperruqués qui me retiennent en ondulant leurs bras de satin blanc, et l’autre, ce fils de yéti qui surgit, m’arrache à mon sommeil du haut de ses deux bras et me jette à terre de toutes ses forces.
Alors il faut bien que j’aille jusqu’au noir de la chambre du fond trouver la paix, au centre du grand lit, des parfums de vieillesse et des ronflements.

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